Vie de l'Etablissement

Espace de Réflexion Ethique de Bretagne - le déconfinement dans les structures médico-sociales

Comme vous le savez, la crise sanitaire a conduit les établissements à adopter des mesures très restrictives mettant à mal la liberté d'aller et venir.

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Eléments de réponse - Cellule de soutien éthique – Vannes, 15 juin 2020

DE L’ÉVENTUALITÉ D’UNE PROLONGATION DU CONFINEMENT SPÉCIFIQUE AUX PERSONNES ÂGÉES : QUE SOMMES-NOUS PRÊTS À SACRIFIER ?

 

Le regard des juristes :

Les consignes nationales sur le déconfinement des EHPAD sont toujours aussi complexes : elles jouent sur les responsabilités des directeurs qui doivent prendre en charge à la fois les exigences de sécurité sanitaire et les impératifs du maintien des libertés.

 

1ère remarque : les résidents des EHPAD sont également des citoyens. Et ils bénéficient du principe d’égalité devant la loi qui interdit toute « discrimination négative » fondées sur la race, la religion, l’âge, ... Principe protégé par le droit international et le droit constitutionnel français.

2ème remarque : les résidents d’EHPAD disposent du plein exercice de leurs droits fondamentaux, ce que le CASF rappelle à l’article L. 311-3 :

« L'exercice des droits et libertés individuels est garanti à toute personne prise en charge par des établissements et services sociaux et médico-sociaux. Dans le respect des dispositions législatives et réglementaires en vigueur, lui sont assurés :

1° Le respect de sa dignité, de son intégrité, de sa vie privée, de son intimité, de sa sécurité et de son droit à aller et venir librement ;

2° Sous réserve des pouvoirs reconnus à l'autorité judiciaire et des nécessités liées à la protection des mineurs en danger et des majeurs protégés, le libre choix entre les prestations adaptées qui lui sont offertes soit dans le cadre d'un service à son domicile, soit dans le cadre d'une admission au sein d'un établissement spécialisé ;

3° Une prise en charge et un accompagnement individualisé de qualité favorisant son développement, son autonomie et son insertion, adaptés à son âge et à ses besoins, respectant son consentement éclairé qui doit systématiquement être recherché lorsque la personne est apte à exprimer sa volonté et à participer à la décision. A défaut, le consentement de son représentant légal doit être recherché ;

4° La confidentialité des informations la concernant ;

5° L'accès à toute information ou document relatif à sa prise en charge, sauf dispositions législatives contraires ;

6° Une information sur ses droits fondamentaux et les protections particulières légales et contractuelles dont elle bénéficie, ainsi que sur les voies de recours à sa disposition ;

7° La participation directe ou avec l'aide de son représentant légal à la conception et à la mise en oeuvre du projet d'accueil et d'accompagnement qui la concerne. »

Les personnes âgées sont des citoyens à part entière, et le principe d’égalité doit leur être appliqué sans restriction. Ils ne peuvent être victimes d’ostracisation, du fait de leur âge ou de leur fragilité.

On ne peut distinguer, au nom de la sécurité sanitaire, le citoyen de l’homme. Bien plus, distinguer deux formes de citoyenneté reviendrait à bafouer le principe de liberté, fondé sur l’égalité, de tout être humain.

Dans le contexte évoqué, il semble qu'à aucun moment l'avis des intéressés n’ait été demandé et pris en compte, qu’il s’agisse des résidents eux-mêmes, du CVS et des familles. Le principe de bienveillance a été détourné.

On peut considérer que le différé du déconfinement revient à infantiliser la personne âgée ou en situation de handicap, à qui on demande obéissance et à la place de qui on prend des décisions qui peuvent sembler arbitraires sur ses choix de vie. L’avis 128 du Comité Consultatif National d'Ethique du 15/2/18 invitait au contraire à une société plus inclusive. Les résidents auraient dû pouvoir s’exprimer au moins par l’intermédiaire des Conseils de Vie Sociale et/ou de leurs familles. “Veiller sans surveiller”, “Protéger sans enfermer”. Il y a une tension éthique entre vulnérabilité et autonomie.

Les établissements se trouvent confrontés à deux injonctions paradoxales : la demande d’assouplir les mesures de distanciation pour les résidents, et la responsabilité engagée pour les directeurs pour la sécurité des résidents.

C’est pour les résidents le risque d’une double peine, une restriction de liberté qui se poursuit et le constat par les médias de la liberté retrouvée pour le reste de la population.

La liberté de choisir leur est refusée : choix de voir leurs proches et de vivre sans confinement et choix risquer de contracter le COVID et peut-être d’en mourir.

Le principe de prévention (prévenir et prendre les mesures barrières) ne doit pas être confondu avec le principe de précaution qui prive le résident de liberté, avec le risque de conséquences psychologiques et une qualité de vie dégradée.

En résumé : Les mesures de confinement prolongé imposées aux seuls résidents dans les établissements en raison de leur fragilité, revient à les infantiliser et à les considérer de façon différente du reste de la population. Les raisons sanitaires évoquées ne peuvent justifier cette stigmatisation d’une partie de la population au regard de l'âge ou du handicap. La prise de ces décisions aurait dû se faire après concertation des résidents, du CVS et des familles. Ces informations sont données à titre indicatif et n’engagent pas les membres des cellules de soutien éthique. Elles ne sont pas exhaustives et doivent être actualisées et contextualisées.

Article par Muriel Rebourg, Stéphanie Renard

Chronique classée dans Droit administratif, Personnes, famille RDLF 2020 chron. n°30